Je viens de finir le résumé ( si
j'ose dire !) du livre de Mathilde Sonnet "Atelier 62". Un très beau
livre, admirablement documenté, et "vécu".
Mathilde
Sonnet est historienne, ingénieure de recherches au CNRS, mais ce
qu'elle nous raconte est l'histoire de ses parents, de son père surtout,
charron-forgeron en Normandie, qui sentant que le monde paysan dans
lequel il avait grandi touchait à sa fin, avait décidé de se faire
embaucher aux usines Renault à BIllancourt.
Je n'ai pas voulu ( ou pas su ) résumer les chapitres sur les luttes ouvrières de cette époque, mais c'est
presque l'histoire de mon grand-père, il était électricien chez
Roux-Combaluzier, et a vécu à peu près les mêmes choses : le départ vers
les grandes villes, l'usine, les luttes ouvrières, etc. (Je l'ai très
peu connu, il est décédé en 1946 ).
Le
hasard a voulu que j'habite pendant un an, dans un studio, juste en face
de l'usine Renault, à BIllancourt. La nuit, on entendait très bien le
bruit des machines !
Bref, je vous recommande ce livre...
Anne
Atelier 62. Martine Sonnet
(Martine Sonnet est ingénieure de recherche
en histoire au CNRS. Elle a publié plusieurs livres concernant l’histoire des
femmes et son évolution)
Martine Sonnet est historienne, mais ce qu’elle nous raconte
dans cet ouvrage, si tout y est exact, n’est nullement un livre « savant… »
Son père travaillait comme artisan (ouvrier
charron/tonnelier/ forgeron) dans la campagne normande, quand, à 40 ans, prévoyant
probablement que son métier n’aurait plus guère d’avenir, il se fit engager en
1950 à l’usine Renault de Billancourt,
comme ouvrier, accédant ainsi à « la classe ouvrière », et s’était installé,
sans sa famille, dans divers hôtels et chambres meublées, faute de trouver un
logement décent, sa femme et ses trois enfants
(bientôt quatre…) étant restés en Normandie.
5 ans de
séparation. Il rentre chez lui par le train chaque semaine, en finissant le
trajet sur son vélo, qu’il a laissé à la gare…
Il est d’abord embauché comme « ouvrier
spécialisé », le temps de « faire ses preuves, (alors que ses
papiers prouvent qu’il est bien charron-forgeron), et encore « à
l’essai », ce qui permettait de le payer aussi peu que possible, la durée
de cet essai n’étant mentionnée sur aucun document.
Il finit tout de même par décrocher un HLM (l’auteur
n’emploie pas ce mot), à Clamart, où lui et sa famille, enfin réunis,
s’efforcent de maintenir un minimum de décence, par rapport aux voisins
bruyants (on entend tout !) Il faut
aussi grimper les escaliers, et utiliser le vide-ordures installé à chaque
demi-étage.
Je
cite : « le confort des radiateurs, de l’eau, et même chaude, des wc
à soi sans avoir à sortir, fait supporter ce qui cloche encore. Et ce bruit,
que le père n’entend déjà plus trop, assourdi par le bruit des forges… »
Les forgerons, c’est la noblesse de l’usine, quand on
dit « la forge arrive », on s’écarte pour la laisser passer…
En rentrant chez lui, le père se déshabille, il s’est
pourtant douché à l’usine, y a laissé ses habites sales, mais cette nouvelle
douche sert de sas entre ses deux vies. Une fois bien rasé, les enfants peuvent
l’embrasser.
Et bien sûr, il emporte sa gamelle au travail, et la
rapporte le soir, avec de petits objets usuels qu’il a fabriqués à la main,
histoire de se détendre un peu, l’auteur en a encore chez elle…
Les forgerons, pourtant sélectionnés pour leur
robustesse ne restent pas longtemps en bonne santé, ils finissent leur carrière
à 65 ans, dans des travaux moins épuisants, mais aussi moins payés, et c’est
sur ces emplois que leur retraite est calculée.
Quand on retourne au village en vacances, on est
devenu « les Parisiens des taillis », c’est dit sans méchanceté, mais
on comprend qu’on ne fait plus vraiment partie du village…
Le forgeron du village a gardé son privilège de
bouilleur de cru, on rapporte un peu de calva, qu’on fait goûter aux copains,
au vestiaire. Il faut expliquer comment la poire a pu entrer dans la bouteille,
c’est tout un art, une autre culture…on rapporte aussi les rillettes maison…
Le père s’est débrouillé pour installer un petit
atelier dans la cave de son immeuble, le dimanche, il y fabrique des objets
utiles, des meubles pour les enfants, « en vrai bois », tout ce qui
peut se faire à la main. Il fait aussi connaissance avec certains habitants des
petites maisons de banlieue du secteur, et leur donne des conseils avisés sur
la taille des arbres fruitiers, va aux pissenlits, qu’il cueille avec le couteau
de poche, qu’il gardera toute sa vie, seule habitude qui ne se perdra jamais,
parce que même la messe finira « par passer à l’as… »
Et puis, descriptions des ateliers. Innommables,
envahis par les rats, sans chauffage, ou surchauffés à cause des machines, les
accidents où meurent les ouvriers, « c’est toujours leur faute », les
syndicats ont beau s’être organisés peu à peu, les indemnités obtenues ont
inexistantes, et si un ouvrier ne peut vraiment plus manier ses outils, par
pure bonté d’âme, les patrons le placeront dans un autre atelier, où il sera
encore moins bien payé.
Il commence à y avoir pas mal de grèves, de
débrayages…
Et pendant ce temps…notre auteure poursuit ses études,
et rapporte des prix, en fin d’année. Elle ne le dit pas clairement, mais le
lecteur sent qu’elle est en train de quitter le monde ouvrier sans le
vouloir…D’ailleurs, on a tendance à l’oublier : quand la famille part en
excursion en autocar, on s’arrange pour
ne pas l’emmener, sous prétexte qu’elle est toujours malade en voiture,
etc. Et personne ne saura qu’elle va à la piscine de Chatenay-Malabry toute
seule, vers 8 ou 9 ans…
Il y aura encore de grandes réunions de famille, avec
des tablées bien garnies, mais les enterrements se multiplient, le père finit
par mourir, et être enterré en Normandie. Il aura quand même eu tout juste le
temps de serrer la main du mari de l’autrice, et père de ses futurs
petits-enfants
Pour ceux qui veulent en savoir plus :