Bienvenue

vendredi 14 juillet 2023

Farrago - Yahn Appery

 Farrago par Apperry

 

Qui, de vous tous, peut qualifier ce roman ? J’aimerai bien savoir dans quelle catégorie le mettre car pour moi, mon cœur balance entre plusieurs : philosophie ? amour ?aventures ? Je l’ai bien apprécié en tout cas.

Voici un extrait : (Nand est un homme)

 

FARRAGO – Yann Apperry – pages 259 à 263 - Grasset

 

Nand a saisi mes mains et ses yeux brillaient de tendresse : « Homer, nous sommes liés. Homer Idlewilde et  Ananda Singsidhu, réunis par la plus inattendue et  la belle des coïncidences, réunis par la plus merveilleuse des abstractions, une ressemblance ! Ce n'est pas le charme de Rachel Mildew ou la beauté de Manisha Supthankha qui nous rassemblent, Homer, c’est un petit quelque chose qu'elles ont en commun et qui nous a touchés, toi et moi. Est-ce que tu peux me I ‘expliquer ?

- Non », j'ai dit, tandis que la bouilloire commençait à siffler. Nand a relâché mes mains et, parvenu à l’autre bout de la pièce, a coupé le feu.

- « Moi non plus, il a dit, et pourtant c'est arrivé. Nos esprits se sont rencontrés.

— Nos esprits ?

 — Appelle-les comme tu voudras, ça n'a pas grande Importance. Ils ressemblent à des amants séparés dans une grande forêt sombre et qui se cherchent, ou à des oiseaux migrateurs qui volent jour et nuit vers leur destination. C'est comme s'ils n'avaient qu'une idée en tête et qu'ils étaient prêts à remuer ciel et terre pour atteindre leur but. Mais ils sont bien plus que des amants perdus ou des oiseaux. Ils nous suggèrent un voyage et nous l'accomplissons. Ils nous inspirent un amour et nous tentons de le vivre. Ils attirent notre attention sur un visage, sur un nom, sur les quelques lignes d'un poème, et ce visage, ce nom, ce poème revêtent pour nous une importance particulière, ils sortent de la brume des jours, ils sortent de l'ordinaire, comme s'ils...

—Tiraient la sonnette d'alarme », j'ai dit en songeant au voyage en train que j'avais accompli sur la côte à la fin de l'année scolaire en compagnie de ma classe.

«Si l'un d'entre vous s'amuse à tirer la sonnette d'alarme, avait dit Miss Flann en levant son index, je le ferai descendre du wagon et il rentrera à pied ! »

« A la bonne heure ! a dit Nand. L'esprit guette l’occasion de nous ouvrir les yeux, et plus nos yeux sont ouverts, plus les occasions sont nombreuses.

—Je ne comprends pas.

—L'esprit, Homer, a toutes les cartes en main, tant que nous continuons de croire que nous menons notre vie à notre guise en jonglant avec le hasard, il poursuit sa tâche, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour guider nos pas vers la prochaine destination, ou si tu préfères, pour nous faire monter dans le bon train, et quand vient le moment critique...

—Il tire sur la sonnette », j'ai répété, visualisant la manette située aux extrémités du wagon, cette petite tige rouge qui m'attirait comme un aimant et que j’ai eu le plus grand mal à ignorer, tout le temps qu'a duré le voyage.

« L'esprit fait feu de tout bois, a poursuivi Nand ou plutôt, il embrasse d'un regard le monde où nous sommes, l'époque que nous traversons, et il improvise. Pour reprendre ton image, il sait qu'à 9 h 57, tu seras à bord de l'express qui descend de Berkeley à San Jose, il sait que le voyage durera une heure, il connaît Ies moindres détails du paysage, il sait les noms et les histoires de tous les autres voyageurs, et il essaie de voir si dans cette multitude d'êtres et de moments, il n'y aurait pas moyen d'agir. Toi, Homer Idlewilde, tu viens de monter à bord, ta valise à la main, tu marches entre les rangées de sièges, tu entends le sifflet du chef de gare, la locomotive s'ébranle, tu avances toujours, à la recherche d'une place, et tu vois une tache de lumière sur un rideau, une longue tache qui s'étend comme un trait de peinture jaune et qui éclabousse le visage d'une passagère.

- Et alors ?

- Et alors ce trait de lumière est comme une flèche pointée sur ce visage, ou bien il te rappelle un rayon de soleil sur le mur de ta chambre, un jour que tu pensais au visage

de quelqu'un, ou bien tu songes à une route, à l’horizon, à l'embrasure d'une porte, ou bien la tache lumineuse attire ton regard au-dehors et tu vois des moineaux posés sur les fils électriques, ils sont au nombre de six, ils te rappellent des notes sur une portée musicale, ils te rappellent un oiseau à l'aile cassée que tu as trouvé un matin et que tu as soigné, ils te font penser à une corde tendue dans un chapiteau de cirque et tu découvres ta vocation, tu seras funambule.

- j'aimerais bien », j'ai dit, et pour un instant, j'ai imaginé le cirque, la foule sous mes pieds, la perche entre mes mains, mon costume rouge et or. Quand je suis  revenu à moi-même, j'ai vu que Nand lui aussi était perdu dans une vision lointaine. Nos regards se sont croisés et j'ai eu la sensation qu'ils s'attrapaient au vol comme deux trapézistes.

Nand a repris : « Il y a toutes sortes de révélations comme il y a toutes sortes de nuages. Il y a de grands instants de compréhension qui tombent comme des            

rayons de foudre et des intuitions si légères, si frêles que pour un peu, elles passeraient inaperçues. Dans ce wagon, Homer, tu rencontreras peut-être la femme de ta vie, ou un simple souvenir tiré du gouffre de ta mémoire, une petite pensée qui, la nuit prochaine, dans quelques jours, dans quelques années, résonnera avec une autre et t'offrira un aperçu sur ta vie. Il y a de petites et de grandes rencontres, l'esprit fait comme il peut. Sur toutes les plages du monde, il y a un galet que tu choisiras de ramasser parmi tous les autres, et sur tous les quais de gare du monde il y a un voyageur que tu choisiras de voir dans la foule des visages. Mais ce que tu dois comprendre, c'est que l'esprit se contente de te faire signe. Il déploiera des trésors d'imagination et de volonté pour y parvenir, et tu ne sauras jamais l'effort que lui a coûté cette tache de lumière sur le rideau, tout ce qu'il a dû mettre en œuvre pour que tu la voies, à ce moment précis de ton existence, dans ce wagon, dans ce train, dans cette ville, dans cette parcelle infime de l'univers, dans cet instant perdu dans l'immensité du temps, tu ne le sauras jamais. Simplement, c'est à toi de jouer désormais. La balle est dans ton camp. L'esprit n'a aucun pouvoir sur la suite des événements et tu ne peux le tenir pour responsable de ce que tu choisiras de faire ou de ne pas faire. Tu peux tomber éperdument amoureux de la passagère éclairée par le rayon de soleil et elle peut tomber éperdument amoureuse de toi, mais si, d'aventure, votre amour ne se vivait pas comme tu le désires, il ne faudrait pas que tu t'en prennes à Dieu, au destin qui fait si mal les choses, à cette femme ou à toi-même. Si tu vois les

choses telles qu’elles sont, tu te diras seulement que tu as interprété le signe de travers ou que tu as agi maladroitement, que cette femme a suivi un autre chemin et que ce chemin n'était pas le tien, tu te diras cela sans t'en vouloir, sans en vouloir à personne. Les hommes, vois-tu, passent leur temps à se plaindre, à se haïr eux-mêmes ou à incriminer les autres, le ciel, la fatalité, parce qu'ils confondent le signe avec le rêve qu'ils s'inventent. Imagine un poète qui a une intuition magnifique, tente vainement de la traduire en mots et s'arrache les cheveux. Il a cru que son intuition donnerait lieu à un poème. Il a fait un rêve et il s'est trompé. Ou imagine que Barth Nemechek se réveille un matin avec la certitude qu'il croisera la fille de ses rêves, une camarade de classe sans doute, sur le chemin de l'école. Il s'habille, dévore son petit déjeuner, prend son lunchbox et court sur la route. Il voit la jeune fille passer à vélo. Mais elle n'est pas seule. Un garçon pédale à ses côtés. Barth est triste, Barth est en colère. De dépit, il jette son lunchbox au sol, pourquoi ? Parce qu'il a confondu son intuition et le rêve qui en est né, il a extrapolé.

—           Extra quoi ? J’ai dit.

—           Il s'est inventé toute une histoire et quand il s'aperçoit que cette histoire n'existait que dans sa tête, il se sent trahi. La plupart des hommes sont ainsi, Homer, et crois-moi, tu ne veux pas rejoindre leurs rangs. Les rêves sont aux signes ce que les signes sont à Dieu, une même volonté féroce les anime. Mais si les signes sont les anges de Dieu, les rêves trompent les hommes et les attristent. »

Le sens de ses dernières phrases m'a échappé, mais j'ai rangé les paroles de Nand dans un coin de ma tête où, des années durant, elles ont hiberné. Sur moment, je n'ai donc pas saisi exactement de quoi  parlait Ananda Singsidhu, et je ne suis toujours pas certain de vraiment le comprendre, mais j'étais captivé, et les coups de tonnerre, le hurlement du vent, les vagues de pluie qui giflaient la baie vitrée s'étaient retirés de ma conscience, ne me parvenant plus qu'à la manière d'échos à bout de souffle.

 

Raymonde.

 https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/2484878001/yann-apperry-farrago

 


 

La saga de Youza - Youozas Baltouchis

    J'ai beaucoup aimé l'atmosphère rurale de ce livre, qui mêle le destin individuel d'un paysan balte et la grande histoi...